DONNONS LA PAROLE A NOS PRODUCTEURS LOCAUX :

Entretien avec

Éric Léonard : Producteur du Safran de Cotchia

Éric, pourquoi as-tu choisi ce métier et quel sens cela a-t-il pour toi ?

Avec Sabine, nous avons toujours aimé travailler la diversification. Au départ, nous étions deux agriculteurs traditionnels et nous sommes ensuite passés à la culture du cassis. C’était une première en Belgique et nous avions à l’époque 25 hectares de cassis. Ensuite, nous avons créé une boucherie à la ferme. Cela remonte à 35 ans : nous étions les deuxièmes en Belgique à avoir une boucherie à la ferme. Et c’était une première dans la région !
Par la suite, on en a eu un peu marre de la boucherie à la ferme, marre d’être enfermés tout le temps entre nos quatre murs, soumis à des horaires précis. C’est là que nous avons décidé de nous lancer dans une autre culture, un nouveau défi : le safran.
Nous sommes ainsi devenus producteurs de safran. Grâce à Sabine, nous transformons également le safran en différents produits comme des confitures, des moutardes, des mayonnaises, des vinaigres, etc. Nous proposons maintenant une large gamme de produits à nos clients.

Encore une fois, nous étions des précurseurs en Belgique. Sabine et moi aimons particulièrement relever de nouveaux défis et réfléchir ensemble à ce qui nous plaît.

Nous ne voulions plus être enfermés toute la journée ou avoir des horaires stricts pour ouvrir et fermer notre magasin. Nous devions être réglés comme des horloges alors que nous aimons notre liberté. La production de safran, c’est tout l’inverse. Nous avons retrouvé une liberté totale puisque nous sommes partis de rien. Tout était à faire, il n’y avait pas de débouchés. Nous avons dû tout créer à partir de zéro. Pour apprendre à cultiver le safran, nous avons été obligés de nous rendre en France pour nous former et apprendre notre nouveau métier. Nous avons également dû développer et adapter la technique qui était incompatible avec la météo belge.
Concernant la commercialisation du safran, nous sommes également partis de rien, le safran étant peu connu à l’époque. Nous ne pouvions pas nous dire que nous allions le vendre dans tel ou tel magasin. Il a d’abord fallu travailler beaucoup sur notre communication, notamment avec les médias, pour que le public découvre ce qu’est le safran et comment l’utiliser.
Quand les journalistes se sont intéressés à nous, ils trouvaient l’idée géniale, mais le nom « Cotchia » à consonance espagnole ne leur plaisait pas du tout. Alors que ce n’est pas du tout espagnol. Cotchia est un mot wallon et c’était le surnom de mon arrière-grand-père. C’était un monsieur avant-gardiste. Il était en avance sur son temps et ne faisait pas comme tout le monde. D’ailleurs il plantait ses betteraves à une autre période de l’année que les autres. On trouvait donc que Cotchia, ça sonnait bien.
Cotchia signifie « le roseau qui plie mais qui ne rompt pas ». Dans les livres, « Cotchia », ce sont des roseaux qui sont plantés en France, le long des berges, pour retenir le sable. C’est un très grand roseau, qui plie mais ne casse pas. Mon arrière-grand-père était très grand, il a vécu les deux guerres mondiales et s’en est sorti malgré tout. Ensuite, il a bien réussi sa vie. C’était un visionnaire et nous avons repris son surnom pour lui rendre hommage.

Petit à petit, nous avons réussi à intégrer quelques restaurants étoilés.

Leur image nous a servi de tremplin et les gens se disaient que, comme nous étions présents dans tel restaurant étoilé, nous étions forcément bons. Selon moi, c’est un peu l’image que tout le monde s’en est fait. En tout cas, cela nous a permis de commercialiser ensuite le safran dans les magasins.
Une fois nos points de vente installés, Sabine s’est lancée dans les produits dérivés.

Le Safran de Cotchia - Eric et Sabine

“Cotchia est un mot wallon et c’était le surnom de mon arrière-grand-père. Cela signifie « le roseau qui plie mais qui ne rompt pas »”

Eric Léonard

“Nous cherchions à retirer un maximum de plaisir à exercer un métier alors inconnu”

Notre métier

Une fièreté

C’est une fierté d’exercer ce métier. Il nous a ouvert énormément de portes. Beaucoup plus que la boucherie ou le cassis étant donné que nous sommes maintenant dans l’alimentation haut de gamme.
Nous avons eu l’occasion d’être invités dans des salons représentant tous les pâtissiers belges comme Marc Ducobu et Jean-Philippe Darcis. Nous avons donné une conférence devant les cent meilleurs pâtissiers du monde à Saint-Étienne, en France. Nous sommes aussi partis au Chili où nous avons rencontré le Prince Philippe pour présenter le safran. Sabine est également partie en Thaïlande. Nous avons quand même pas mal voyagé. Tout cela nous rend fiers. C’est assez amusant pour des petits Belges qui se lançaient dans un produit inconnu en Belgique. C’est ce que l’on recherchait. Pas d’attirer l’attention sur nous mais de retirer un maximum de plaisir à exercer un métier alors inconnu. Voilà notre vérité.

Q&R

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton activité ?

Ce qui me plaît le plus ? Un peu tout parce que nous faisons tous les jours quelque chose de différent. C’est ça qui est chouette. Lorsque j’en ai marre de la bureaucratie – et il y en a quand même beaucoup ! – je vais à la campagne où il faut désherber. Puis, il y a des moments où il faut planter. Il y a des moments où on se retrouve avec pas mal de personnel, surtout lors de la récolte du safran. C’est un moment important où il faut gérer le personnel, l’accompagner, travailler et être avec lui. Il y a toute une série de phases différentes qui se succèdent en fonction des saisons. Il n’y a jamais un mois pendant lequel il n’y a rien à faire. Et s’il n’y a rien à faire au champ, nous rencontrons les journalistes et les médias ou nous mettons à jour notre site web.
Même s’il est vrai que nous faisons les mêmes tâches chaque année, le travail est toujours très varié et cyclique. Et puis, notre plaisir, c’est surtout de mettre le nez dehors, de respirer le grand air et d’être à la campagne. C’est surtout ça que l’on aime.

Nous faisons tous les jours quelque chose de différent

Le Safran de Cotchia - le champ

Qu’aimerais-tu dire aux Wasseigeois ?

J’aimerais dire aux Wasseigeois qu’ils devraient donner leur priorité à tous les producteurs locaux. Ils le font déjà bien mais il faudrait vraiment plus d’investissement de leur part. Ce sont des gens qui investissent beaucoup d’argent et qui prennent beaucoup de risques. Je ne parle pas pour nous, parce que nous arrivons en fin de carrière. Mais je pense à tous les jeunes qui démarrent, quel que soit le domaine. Les gens devraient les soutenir en achetant leurs produits. Ce n’est pas nécessairement plus cher puisqu’en réalité, ces producteurs sont situés près de chez eux, au coin de leur rue, et qu’il est parfois plus cher de prendre leur voiture. Et puis, quand on voit ce qu’il se passe actuellement en Ukraine où il manque plein de produits, réfléchissons un petit peu et reproduisons local. Je crois que ce serait une bonne chose pour tout le monde.

“Quand on voit ce qu’il se passe actuellement en Ukraine où il manque plein de produits, réfléchissons un petit peu et reproduisons local”

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