DONNONS LA PAROLE A NOS PRODUCTEURS LOCAUX :

Entretien avec

Jean-Luc Dardenne : Fruiticulteur à la Pommeraie du Moulin

Jean-Luc, pourquoi as-tu choisi ce métier et quel sens cela a-t-il pour toi ?

Le hasard. J’ai étudié les techniques horticoles durant mes humanités à Gembloux. Elles proposaient une petite vue globale sur le secteur, mais sans entrer énormément dans les détails.

Après mes études, je suis rentré à la ferme où papa avait beaucoup de travail. Puis mon frère a décidé de rejoindre la ferme et il a fallu faire des choix. Le hasard a fait que mon père connaisse quelqu’un qui était dans le domaine des fruits à Visé. Il m’a proposé de venir voir. Il m’a fait découvrir le métier de fruiticulteur et j’y ai pris goût.

Les premières années, j’ai créé ma propre pépinière en plantant des petits arbres de 20 cm que j’ai ensuite transplantés dans le verger (l’hiver 1998). Au départ, j’avais planté énormément de pommes, mais il aurait fallu que je replante un peu plus de poires, plus rentables. Alors, au fur et à mesure, j’ai essayé chaque année de planter un hectare de poires pour compenser et transformer le verger. Le problème quand on plante un verger c’est que c’est pour 15 ans minimum.

Heureusement, lorsque j’ai commencé, j’ai eu la chance d’être soutenu techniquement par diverses personnes. Encore maintenant je suis aidé par le GAWI, un centre technique spécialisé dans les fruitiers. Il m’aide à prendre des décisions, à surveiller mes arbres et à améliorer mes pratiques.  

Au départ, j’avais 10 hectares de pommes et un hectare de poires. Aujourd’hui, j’ai 12 hectares de poires, cinq hectares de pommes et bientôt une quinzaine d’hectares de pommes acides, ce qui me permet d’avoir trois secteurs bien distincts.

Concernant l’évolution de mes cultures, les pommes destinées à la production de cidre présentent des caractéristiques similaires à celles du vin. Nous recherchons des variétés de pommes tanniques, acides et astringentes pour obtenir un vrai cidre, tel que celui que l’on peut trouver en Angleterre, en France ou dans d’autres pays où différentes variétés de pommes sont cultivées. Ces variétés ne sont pas forcément connues ici.

Je cultive également des pommes pour la production de cidre rosé. La variété que j’ai plantée est entièrement rouge : le bois, les feuilles, les fleurs et l’intérieur de la pomme sont rouges, ce qui donne un jus naturellement rosé. J’ai un contrat avec Stassen pour la production de cidre.

Bien que je doive faire moins de traitements qu’avec d’autres cultures, je dois être attentif pour pouvoir intervenir rapidement en cas de besoin. Il faut rester vigilant pour récolter suffisamment de kilos, car ce sont ces kilos qui permettent de gagner sa vie.

C’est un beau métier qui me permet d’être dehors, d’être en contact avec la nature et chaque année de produire quelque chose. La nature nous offre toujours des surprises, bonnes ou mauvaises.

Depuis 2006, je collabore avec mon collègue Serge Fallon, de Hanret, avec qui je partage le même bâtiment pour stocker nos produits. Nous divisons ainsi les frais fixes et c’est parfois plus simple de faire un bâtiment plus grand. Serge a une petite dizaine d’années de plus que moi et il a des connaissances que je n’avais pas. C’est toujours intéressant de travailler avec des personnes plus expérimentées. Dans notre métier, qui est très solidaire, je me retrouve avec un partenaire avec qui nous avons l’habitude d’échanger du matériel et des idées.

Pendant la majeure partie de l’année je travaille seul, mais j’ai recours à des saisonniers pour la récolte et la taille des fruits. Nous rencontrons toujours des personnes intéressantes dans ce métier. Parfois, nous devons même rencontrer certains ministres pour défendre notre secteur et leur rendre compte des problèmes que nous rencontrons. Les politiques ne se rendent souvent pas compte de la difficulté de notre travail et nous devons les mettre au courant. Nous devons leur dire « eh ho, vous nous obligez à faire des choses, vous établissez différentes règles qui ne sont pas toujours réalisables sur le terrain ». Parfois, nous sommes déjà au-delà des exigences qu’ils voudraient nous faire appliquer. Mes pommes, par exemple, sont cultivées sans résidus, ce qui est très loin de la norme habituelle ! Mes collègues du secteur fruitier, surtout en Flandre, pensent que ce n’est pas possible. Mais j’y arrive et j’ai des récoltes valables. Par contre, les grands magasins n’en ont rien à faire. Pour eux : soit c’est du bio et c’est cher ou ce n’est pas bio et c’est du bon marché. Entre les deux, ils ne veulent pas. Et même le bio ils le veulent bon marché ! Et le bio qui vient de l’autre bout du monde, je suis désolé, mais ce n’est plus du bio, car il doit être produit localement pour une diffusion locale. C’est un non-sens de faire autrement.

Les règles actuelles sont absurdes et autorisent l’importation de bio d’Espagne ou de Nouvelle-Zélande où les contrôles ne sont pas aussi rigoureux qu’en Belgique. Je dis non ! Ce n’est plus du bio. J’ai fait le choix de produire des pommes « zéro résidus » plutôt que « bio » et je cherche constamment des solutions pour réduire les produits chimiques.

Jean-Luc Dardenne La Pommeraie du Moulin

“La nature nous offre toujours des surprises, bonnes ou mauvaises…”

Jean-Luc Dardenne

“Je suis constamment à la recherche de solutions pour améliorer mon travail.”

Transmission des connaissances

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton activité ?

Je suis passionné par tout ! J’aime particulièrement essayer de nouvelles choses. C’est pour ça que j’ai planté des pommes acides, même si 90% des arboriculteurs n’en voulaient pas. J’aime également la technique et je suis constamment à la recherche de solutions pour améliorer mon travail.

La taille est également une activité que j’apprécie. Chaque année je participe à des cours. J’apprends de petites choses et j’ai la chance d’assister à des réunions au Centre Fruitier Wallon à Merdorp où on nous parle des nouveautés en matière de technique de taille, de plantation et des nouvelles variétés de pommes qui sortent chaque année.

Qu’aimerais-tu dire aux Wasseigeois ?

Je suis chanceux. Je pourrais faire plus de publicité pour mon verger, mais je n’aime pas ça. Par contre, j’adore quand chaque année je fais visiter mon verger aux enfants.

On se promène dans le verger pour cueillir des pommes et des poires et nous essayons de voir des chevreuils en faisant le tour du verger.

Les enfants rentrent heureux avec des fruits partout dans leurs poches. Même si nous leur disons de ne pas les manger tout de suite, ils finissent tous par manger leur fruit.

L’année dernière, plus d’une centaine d’enfants sont passés et tous connaissaient Jean-Luc. Les parents demandaient alors : « Qui est Jean-Luc ? » Et les enfants répondaient : « C’est le producteur de pommes, il faut aller chercher du jus de pommes chez Jean-Luc. » J’aime ça, c’est ma petite publicité personnelle. A la fin d’une visite, je me rappelle cette petite fille qui m’a attrapé la jambe et m’a dit « merci monsieur ». Cela m’a ému aux larmes.

De plus en plus je remarque que les personnes de l’entité viennent se servir dans mon distributeur, même si ce n’est qu’une partie de ma production, car ils savent ce que je fais et ils apprécient que je leur explique mon métier.

J’aime parler de mon travail lorsque quelqu’un vient me poser des questions. C’est un beau métier ! Alors, le village, venez, venez goûter mes fruits ! Cela ne me dérange pas si quelqu’un prend une pomme ou une poire sur un arbre et la goûte. Moi aussi j’ai fait ça sur le bord de la route. Il n’y a rien de plus gai que de faire ça ! Maintenant, une personne qui remplit un sac ce n’est pas la même chose. Tout le monde doit vivre. Mais lorsqu’on me dit que mes pommes sont bonnes, je suis fier. Et qu’on soit content de mon travail, c’est important pour moi.

“J’aime parler de mon travail lorsque quelqu’un vient me poser des questions.”

Poires-de la Pommeraie du Moulin

<<<< interview précédente : Olivier Lefèvre – de Bouche à Oreille

Interview suivante : La FourNilière >>>>