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Entretien avec

Jean-Paul Delbrouck : Brasseur à la BRASSERIE MOCHENAIRE

Jean-Paul, pourquoi as-tu choisi ce métier et quel sens cela a-t-il pour toi ?

J’ai fait ce choix tout à fait par hasard. C’est un de mes beaux-fils qui m’a offert un livre sur la bière à Noël en 2013. Je ne m’y étais jamais vraiment intéressé. Jusqu’alors, c’était surtout le vin qui m’intéressait.

J’ai donc découvert la production de la bière grâce à ce livre et je me suis pris au jeu. J’ai commencé à réfléchir et à me documenter avant d’enfin me procurer mon petit kit de départ.

J’ai d’abord une formation agronomique. Je suis ingénieur technicien en agronomie, mais je n’ai jamais pratiqué ce métier. J’ai fait toute ma carrière en tant qu’imprimeur, avec peut-être un petit goût de trop peu. J’ai donc eu envie d’expérimenter un processus de production complet en partant du grain que j’ai malté et torréfié moi-même. J’ai mené différents essais de germination et de torréfaction. Ce fut pour moi un retour aux sources. Et puis, j’ai produit ma première bière ! Ce n’était pas forcément le fin du fin, mais c’était ma toute première.

J’ai continué en faisant des centaines de brassins et j’ai finalement élaboré ma recette. Pendant ma troisième année en tant qu’amateur, j’ai produit 1100 litres de bière. C’était extraordinaire pour moi, parce que je n’avais pas encore vraiment le matériel nécessaire.

Puis, ma fille, Muriel, m’a mis la puce à l’oreille en me disant : « papa, il serait peut-être temps de te lancer. Si tu veux, je prends un registre de commerce en tant qu’indépendante complémentaire et je trouve un brasseur qui pourra honorer les commandes de bière ». Muriel a trouvé la brasserie de Jandrain qui a accepté de collaborer avec nous. La Mochenaire était officiellement lancée.

Mochenaire, parce c’est le nom du ruisseau qui se trouve derrière la brasserie. La Région wallonne a identifié tous les cours d’eau et posé des panneaux indiquant le nom des ruisseaux. Un jour, en remontant vers chez moi, j’ai vu ce panneau et je me suis dit que c’était comme ça que je devais appeler ma bière. Et nous sommes partis là-dessus. Le ruisseau traverse le bois de la « Mouchenêre » (mouche noire). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas d’une mouche, mais d’un mouchon (ce qui signifie oiseau). C’est un bois très fréquenté par les oiseaux. Nous avons donc naturellement choisi le thème des oiseaux pour nos étiquettes.

On a commencé à faire brasser notre première bière, la Mochenaire Black, qui est sortie en décembre 2016. Notre activité professionnelle a commencé début 2017. Et puis, comme un bébé, neuf mois plus tard, on a sorti la blonde.

Par la suite, je me suis posé des questions et j’ai dit à ma fille : « tu es partie avec mes bébés et je m’ennuie un petit peu ici ». Nous avons réfléchi ensemble. J’avais un espace à la maison, un petit carport, que l’on pouvait aménager en zone blanche pour y installer du matériel professionnel. Et c’est ce qu’on a fait !

En juillet 2018, nous sommes allés à la rencontre d’un fabricant en Italie. À l’époque, je n’y connaissais rien et je voulais simplement voir où je mettais les pieds. Nous en sommes revenus avec le contrat signé pour notre première machine de 200 litres, ainsi que 2 fermenteurs de 500 litres que nous avons reçus en octobre, soit quelques mois après notre visite.

Fin 2018 est arrivée la « Little One », qui est une blonde légèrement ambrée parce qu’on utilise du malt local, produite à la brasserie Mochenaire.

Les débuts ont été très bons. Puis, en juillet 2019, je me suis fait opérer d’un triple pontage. J’ai dû lever le pied, ralentir les fabrications et les brassages jusqu’à la fin de l’année. 

À l’époque, j’avais 75 ans, et faire deux brassins l’un à la suite de l’autre dans la journée pour remplir un fermenteur, c’était beaucoup pour moi. J’ai donc proposé à ma fille d’agrandir la brasserie. Nous avons alors vendu la machine de 200 litres et acheté celle de 500 litres qui est arrivée en juin 2021.

Depuis, je brasse, mais à mon rythme. On ne cherche pas à écraser le marché. Ce sont plutôt les gens qui manifestent leur intérêt de vendre nos bières, ce qui nous ravit évidemment !

En 2021, j’ai ramené la production de la Mochenaire Black à la maison, devenue la « Home’s Black », et puis la blonde aussi, qui existe en deux versions. La « Mochenaire Blonde » est la seule bière à être toujours brassée à Jandrain, mais je la brasse aussi chez moi sous le nom de « Home’s Blonde » dont le résultat est tout à fait différent.

Jean-Paul Delbrouck Brasserie Mochenaire

“Mochenaire, parce c’est le nom du ruisseau qui se trouve derrière la brasserie”

Jean-Paul Delbrouck

“Quand les gens me disent «ah, j’ai goûté ta bière, elle est bonne», ça fait ma journée ! “

La reconnaissance

Quel sens cela a-t-il pour toi de faire cette activité ?

La reconnaissance ! Bien sûr, ça demande des efforts à mon âge. Il faut parfois que je force un peu pour y arriver. Mais je sais qu’au bout du compte, je vois la reconnaissance des gens qui viennent me rendre visite et je reçois de bons échos sur les bières que je produis. Quand les gens me disent « ah, j’ai goûté ta bière, elle est bonne », ça fait ma journée !

Q&R

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton activité de brasseur ?

Le brassage et les dégustations. Ce n’est pas spécialement que j’aime bien parler de moi, mais ça fait aussi partie de la reconnaissance. L’émerveillement des gens quand ils sortent d’ici avec les yeux pétillants. D’accord, il y a un petit peu d’alcool aussi… Mais ce retour positif est à chaque fois une récompense pour moi.

C’est une activité qui demande évidemment des efforts, mais on n’a rien sans rien. J’aurais tendance à pousser ma fille à s’impliquer davantage dans la production, mais étant indépendante complémentaire, elle n’a pas beaucoup de temps à y consacrer. J’essaie de brasser deux fois par mois et elle vient me donner un petit coup de main pour le nettoyage et les mises en bouteilles. Elle assure aussi les livraisons. Les nettoyages sont aussi exigeants que la fabrication de la bière.

En ce qui concerne la fabrication, je brasse quasi les yeux fermés maintenant. Au début, j’avais mis un protocole en place. Maintenant, c’est devenu intuitif. Je n’ai jamais trop aimé suivre les sentiers bien tracés, j’aime maîtriser moi-même ce que je fais.

“L’émerveillement des gens quand ils sortent d’ici avec les yeux pétillants. D’accord, il y a un petit peu d’alcool aussi… “

bière Mochenaire Little One

Qu’aimerais-tu dire aux Andennais ?

Qu’il y a encore beaucoup de gens qui ne connaissent pas les bières Mochenaire, alors qu’elles sont assez présentes dans les commerces et restaurants d’Andenne et qu’ils peuvent aussi les acheter directement chez nous ou se faire livrer.

Faites-nous plaisir, dégustez nos bières, quoi ! Nous produisons quand même la bière d’Andenne, mais également celle de Fernelmont puisque le ruisseau de Mochenaire est en quelque sorte la frontière entre Fernelmont et Andenne. C’est toute une symbolique que nous aimons mettre en avant : le lien entre les deux communes. D’autant plus que ma fille habite Fernelmont.

Et puis, venez nous rendre visite. La brasserie est ouverte sur rendez-vous (par téléphone, par mail ou via la page Facebook Mochenaire). La visite coûte 5 €, dégustation incluse. Vous pourrez y déguster notre Mochenaire Scottish (bière éphémère), maturée en fût de chêne avec ajout de whisky Laphroaig, ce qui lui confère un arôme puissant et un peu tourbé. On nous dit qu’elle est exceptionnelle.

“Faites-nous plaisir, dégustez nos bières, quoi !”

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